Après 30 ans au sein du groupe Solvay, Jean Pierre Cuif a repris en septembre dernier la Fonderie Vincent, une PME emblématique labellisée par l’Etat « Entreprise du Patrimoine Vivant » qui a rénové la statue de la vierge de Fourvière, la fontaine des quatre sans culs de Chambéry ou encore fabriqué les candélabres du carrousel du Louvre. Cet ingénieur de formation peut ainsi exprimer aujourd’hui toute sa passion pour l’entrepreneuriat, l’industrie et l’art. Histoire d’une belle rencontre.

Quels ont été vos critères de choix lors de la reprise de la Fonderie Vincent ?

Après 30 années chez Rhône Poulenc désormais Solvay, en tant qu’ingénieur spécialiste des terres rares ou des arômes vanille, j’ai une expérience industrielle et commerciale, mais également stratégique puisque j’ai contribué à des projets de fusions acquisitions au sein du Groupe chimique. Je rêvais, depuis quelques années, de reprendre une PME industrielle, d’une taille suffisante, que je puisse acquérir bien sûr et avec une forte composante artistique. Une PME avec une vraie valeur ajoutée, un savoir-faire à la française et qui ait un lien avec les matériaux.

Quelle démarche avez-vous adoptée ?

Il faut savoir que c’est un profil d’entreprise très recherché par les repreneurs. Début 2018, j’ai ciblé les Entreprises du Patrimoine Vivant (E.P.V), un label qui récompense des savoir-faire traditionnels uniques mais aussi des entreprises susceptibles de l’obtenir. Il y a peu d’entreprises industrielles dans ce domaine dominé plutôt par l’artisanat.  Après avoir passé en revue 1500 entreprises sur la région j’en ai sélectionné une vingtaine correspondant à mes critères, auprès desquelles j’ai entrepris une démarche directe en contactant personnellement le dirigeant. C’est ainsi que j’ai rencontré Günther Zahorka, le gérant depuis plus de 20 ans de la Fonderie Vincent, une entreprise de fonderie industrielle vieille de plus d’un siècle qui combine savoir-faire ancestral et technique industrielle. J’ai travaillé sur une offre de reprise avec l’accompagnement de Somudimec, l’établissement de financement de UIMM LYON-FRANCE et quelques banques. Et mon offre a été acceptée.

Quelles sont les spécificités de l’entreprise ?

L’entreprise qui réalise 4,5 M € de CA avec une quarantaine de collaborateurs fabrique une grande variété de produits techniques et offre au travers de ses 2 sites de production, Brignais, Saint Uze dans la Drôme et son entrepôt à Blangy-sur-Bresle en Seine Maritime, un fort potentiel de développement. Pour fabriquer des pièces en fonte unitaires, de petite ou moyenne série, nous utilisons une technique millénaire qui vient de Chine : le moulage sable qui est désormais supporté par des outils industriels modernes. Le savoir-faire traditionnel est là et je vais pouvoir développer l’entreprise en poursuivant sa modernisation et en introduisant de nouveaux outils. L’important sera d’en préserver les valeurs originelles : la passion, ici il n’y a que des collaborateurs passionnés et compétents mais aussi le respect des gens dans un environnement presque familial.

Sur quels marchés évolue-t-elle ?

Nous intervenons sur 5 grands marchés : la verrerie avec la fourniture de pré moules en fonte aux verriers, mais uniquement pour le marché du luxe pour lequel la France représente 40% de l’activité mondiale ; la fabrication de pièces mécaniques pour les robots, machines ou le transport de fluides; le transport ferroviaire, routier ou les machines agricoles ; le mobilier urbain c’est-à-dire des abribus, des panneaux d’affichage, de la signalétique ou les cuisines industrielles… ; enfin le marché de l’art et de la rénovation du patrimoine qui représente 15% de notre activité

Quelles sont les réalisations emblématiques de la Fonderie Vincent sur ce marché de l’industrie artistique ?

Horloge Tassin

L’horloge de Tassin la Demi-Lune

Pour ce marché, nous avons rénové par exemple la fontaine des Quatre Sans cul de Chambéry en refondant entièrement les 4 éléphants, Notre Dame de Fourvière, l’horloge de Tassin la Demi-Lune. Nous fabriquons des candélabres en fonte comme ceux du Carrousel du Louvre, ou les deux candélabres de la fontaine Bartholdi aux Terreaux à Lyon, des gardes corps, comme ceux de l’Hôtel du Palais à Biarritz. Nous savons aussi concevoir sur mesure ou rénover des kiosques à musique comme à la Belle Epoque qui redonnent à nos villes des centres culturels d’un cachet inimitable.

Il reste une cinquantaine de fonderies de fonte en France mais nous sommes l’une des rares à maîtriser ce que j’appelle l’industrie artistique. Nous avons un à deux concurrents en France et quelques concurrents en Asie ou Europe de l’Est pour les pièces industrielles, mais notre savoir-faire reste unique

 Quelles sont vos priorités ?

Aujourd’hui, un des enjeux principaux de la Fonderie Vincent est de rester dans la compétition tout en préservant son savoir-faire. Ma première priorité est de développer l’automatisation de la production. Nous venons pour cela d’acquérir une grenailleuse en ligne. Ce qui permettra aux salariés de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Ma seconde priorité est le développement commercial. Depuis septembre, je vais à la rencontre des clients, de prospects, je leur fais découvrir nos savoir-faire, nos réalisations.

Cette simple démarche a déjà généré de nouvelles affaires. Je vais m’atteler également à l’amélioration des conditions de travail, sur le volet hygiène et sécurité notamment. Et puis, il s’agit également de faire passer l’entreprise de « l’âge de pierre à l’âge de fer », un minimum pour une fonderie de fonte…, surtout sur le service fourni à nos clients. Une autre priorité est de faire monter en puissance l’activité artistique qui constitue une formidable vitrine pour l’entreprise. Il y a un gros potentiel dans ce domaine. En France, on croit que ce savoir-faire est perdu. Je vais nous faire connaître auprès des architectes du patrimoine, des maîtres d’ouvrage, des collectivités. Mon ambition est d’amener cette activité à un tiers de notre chiffre d’affaires grâce aux équipes très compétentes de la Fonderie Vincent. Il y a beaucoup à faire, c’est ce que je recherchais et c’est passionnant !


Parcours

Fonderie VincentIngénieur, géologue et minéralurgiste, Jean Pierre Cuif, 55 ans, a un parcours riche depuis l’Ecole de Nancy INPL à Rhône Poulenc, Rhodia puis Solvay, il a fait le tour du monde, pour devenir spécialiste des terres rares puis de la vanilline, l’arôme de la vanille. Pendant, 30 ans, il a fait de la recherche, dirigé des laboratoires R&D, des projets industriels, contribué à la stratégie de développement du Groupe Solvay. Il dirige aujourd’hui la Fonderie Vincent, un acteur emblématique de l’industrie artistique.

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